Citations de Knut Hamsun

L’auteur norvégien Knut Hamsun (1859-1952), récipiendaire du Prix Nobel en 1920, a écrit environ 50 oeuvres pendant sa vie. Voici quelques citations:

La seule chose qui me gênât un peu, c’était, malgré mon dégoût de la nourriture, la faim quand même. Je commençais à me sentir de nouveau un appétit scandaleux, une profonde et féroce envie de manger qui croissait et croissait sans cesse. Elle me rongeait impitoyablement la poitrine ; un travail silencieux, étrange, se faisait là-dedans.

(Knut Hamsun, Mystères)

Dieu avait fourré son doigt dans le réseau de mes nerfs et discrètement, en passant, il avait un peu embrouillé les fils.

(Knut Hamsun, Faim)

L’amour fut la première parole de Dieu et la première pensée qui traversa son esprit. Lorsqu’il commanda ” Que la lumière soit ! “, l’amour fut. Toute sa création fut réussie et il ne voulut rien y changer. Et l’amour, qui avait été à l’origine du monde, en fut aussi le maître. Mais ses chemins sont parsemés de fleurs et de sang. De fleurs et de sang…

(Victoria, trad. Ingunn Guilhon, p.38, Livre de Poche n°5418)

L’amour, c’est un vent qui murmure dans les rosiers, avant de tomber. Mais il peut être aussi un sceau inviolable jusqu’à la mort. Dieu a créé plusieurs types d’amour : ceux qui durent et ceux qui s’évanouissent.

(Victoria, trad. Ingunn Guilhon, p.125, Livre de Poche n°5418)

“Le langage doit couvrir toutes les gammes de la musique. Le poète doit toujours, dans toutes les situations, trouver le mot qui vibre, qui me parle, qui peut blesser mon âme jusqu’au sanglot par sa précision. Le verbe peut se métamorphoser en couleur, en son, en odeur ; c’est à l’artiste de l’employer pour faire mouche […]. Il faut se rouler dans les mots, s’en repaître ; il faut connaître la force directe, mais aussi secrète du Verbe.[…] Il existe des cordes à haute et basse résonance, et il existe des harmoniques…”.

(Knut Hamsun, Article 1886)

Le temps coule vite. Oui, pour celui qui se sent devenir vieux. Isak n’était pas vieux, ses forces étaient intactes ; les années lui semblaient longues. Il cultivait sa terre et laissait sa barbe rude croître comme elle le voulait.

(Knut Hamsun, Les Fruits de la Terre)

Pretoria et Colombia, dit August. Ils se rencontrent. Ce sont deux fleuves, grands comme des mers, et ils se précipitent furieusement l’un sur l’autre comme pour se battre. Tu entends le grondement à dix milles à la ronde ; et les embruns rejaillissent si haut que, dans la région, le soleil est toujours caché. Maintenant, Teodor, tu vas me demander comment les gens ont du jour là-bas ? En un sens, tu as raison ! Ils n’ont que de la lumière de la lune ; mais c’est un clair de lune d’une autre sorte que la notre, ça ne peut pas se comparer : il est comme le soleil le plus éblouissant de chez nous.

(Knut Hamsun – August le marin)

Il y avait une pierre devant ma hutte, une haute pierre grise. Elle avait une expression de bienveillance à mon égard, c’était comme si elle me voyait, quand j’arrivais, et me reconnaissait. Je m’arrangeais pour passer devant cette pierre quand je sortais le matin et c’était comme si je laissais là un bon ami qui m’attendrait jusqu’à mon retour. » Ou encore : « J’étais couché et regardais les branches qui ondoyaient doucement dans le courant d’air ; ce petit vent accomplissait sa tâche : il portait le pollen de branche en branche et emplissait chaque innocent calice ; toute la forêt était dans le ravissement.

(Knut Hamsun, Pan)

L’ambiance de la forêt investissait mes sens, je pleurais d’amour et j’en étais tout content, j’étais éperdu de remerciements. Ô bonne forêt, mon foyer, paix de Dieu, je vais te dire de tout mon coeur… Je m’arrêtai, me tournai dans toutes les directions et nommai, en pleurant, des oiseaux, des arbres, des pierres, des herbes et des fourmis, par leur nom.

(Pan – Knut Hamsun)

On aurait dit qu’une veine avait éclaté en moi, les mots se suivent, s’organisent en ensembles, constituent des situations ; les scènes s’accumulent, actions et répliques s’amoncellent dans mon cerveau et je suis saisi d’un merveilleux bien-être. J’écris comme un possédé, je remplis page sur page sans un instant de répit. […] Cela continue à faire irruption en moi, je suis tout plein de mon sujet et chacun des mots que j’écris m’est comme dicté.

(Faim – Knut Hamsun)

De ma cabane, j’apercevais un fouillis d’îles, d’îlots et de récifs, un peu de mer, quelques pics de montagnes bleuissantes, et derrière ma cabane il y avait la forêt, une forêt immense. J’étais plein de joie et de reconnaissance à la senteur des racines et des feuilles, au fumet gras du pin qui évoque l’odeur de la moelle ; ce n’est que dans la forêt que tout en moi se faisait calme, mon âme perdait ses aspérités et s’emplissait de puissance. Jour après jour, je marchais par les collines, Esope à mes côtés, et je ne souhaitais rien d’autre que de pouvoir continuer de marcher là jour après jour bien que le sol fût encore à moitié couvert de neige et de boue humide.

(Pan – Knut Hamsun)

Je me percevais moi-même comme un insecte à l’agonie, saisi par l’anéantissement au milieu de cet univers prêt à s’endormir. En proie à d’étranges terreurs, je me levai et fis quelques pas rapides dans l’allée. Non ! criai-je, en serrant les poings, il faut que tout cela finisse ! Je me rassis, repris mon crayon, décidé à mettre à exécution mon idée d’article. Ce n’était pas le moment de s’abandonner, quand on avait devant les yeux l’image du terme impayé.
Lentement, mes pensées commencèrent à s’enchaîner. Je les suivais attentivement et j’écrivis paisiblement, avec pondération, quelque chose. Cela pouvait être le début de n’importe quoi, une relation de voyage, un article politique, ce que bon me semblerait. C’était un très bon début pour bien des choses.
Je me mis ensuite à chercher une question déterminée que je puisse traiter, un homme, une chose sur quoi me jeter, mais je ne pus rien trouver. Au milieu de ces stériles efforts, le désordre commençait à revenir dans mes pensées, je sentais littéralement des ratés dans mon cerveau, ma tête se vidait et finalement elle était sur mes épaules, légère et dépourvue de contenu. Je percevais avec tout mon corps ce vide béant de ma tête, je me faisais à moi-même l’effet d’être évidé de haut en bas.
“Seigneur, mon Dieu et mon père !” criai-je dans ma douleur et je répétai cet appel plusieurs fois de suite sans rien ajouter. Le vent bruissait dans les feuilles, un orage se préparait. Je restai encore un instant à fixer désespérément mes papiers, puis je les pliai et les mis lentement dans ma poche. Le temps fraîchissait et je n’avais plus de gilet ; je boutonnai ma jaquette jusqu’au cou et fourrai les mains dans les poches. Puis je me levai et partis.

(Knut Hamsun, Pan)

La seule chose qui me gênât un peu, c’était, malgré mon dégoût de la nourriture, la faim quand même. Je commençais à me sentir de nouveau un appétit scandaleux, une profonde et féroce envie de manger qui croissait et croissait sans cesse. Elle me rongeait impitoyablement la poitrine ; un travail silencieux, étrange, se faisait là-dedans.

(Knut Hamsun, Mystères)

”Il peut pleuvoir et tempêter, ce n’est pas cela qui importe, souvent une petite joie peut s’emparer de vous par un jour de pluie et vous inciter à vous retirer à l’écart avec votre bonheur. Alors on se redresse et on se met à regarder droit devant soi, de temps à autre on rit silencieusement et on jette les yeux autour de soi. A quoi pense-t-on? A une vitrine éclairée dans une fenêtre, à un rayon de soleil dans la vitrine, à une échappée sur un petit ruisseau, et peut-être à une déchirure bleue dans le ciel. Il n’en faut pas davantage.”

(Knut Hamsun, Pan)

Je suis assis dans la montagne et la mer et l’air murmurent, cela bouillonne et gémit horriblement dans mes oreilles à cause du temps et du vent. […] La mer se soulève en l’air en écumant et chancelle, chancelle, elle est comme pleuplée de grandes figures furieuses qui écartent leurs membres et braillent l’une contre l’autre; non, c’est une fête parmi dix mille démons sifflants qui renfoncent leur tête dans les épaules et tournent en rond, fouettant la mer en mousse du bout de leurs ailes. Loin, loin là-bas…

(Knut Hamsun, Pan)

Mon esprit fut saisi par le sentiment de lété: Imaginez que le doux murmure qui court dans l’herbe vous traverse le coeur.

(Knut Hamsun, Pan)

Ces derniers jours, j’ai pensé, pensé au jour éternel de lété dans le Nordland.

(Knut Hamsun, Pan)

Subitement je me mets à claquer des doigts plusieurs fois de suite et à rire. C’était diablement drôle ! Ha ! Je m’imaginais avoir trouvé un mot nouveau. Je me dresse sur mon séant et je dis : « Ca n’existe pas dans la langue, c’est moi qui ai inventé ça : Kuboa. Ca a des lettres, comme un mot. Bonté divine, mon garçon, tu as inventé un mot ‘ Kuboa’ d’une grande importance grammaticale.

(Knut Hamsun, Faim)

J’avais remarqué très nettement que si je jeûnais pendant une période assez longue, c’était comme si mon cerveau coulait tout doucement de ma tête et la laissait vide.

(Knut Hamsun – La Faim)

Comment s’appelle votre propriétaire ? En toute hâte j’inventai un nom pour me débarrasser de lui, je fabriquai ce nom sur-le-champ et le projetai dans l’espace pour arrêter mon persécuteur. –Happolati, dis-je. –Happolati, oui, approuva l’homme sans perdre une syllabe de ce nom difficile. Je le regardai avec étonnement : il gardait tout son sérieux et avait une mine réfléchie. Je n’avais pas plus tôt prononcé ce nom stupide qui m’était venu à l’esprit, que l’homme le reconnaissait et feignait de l’avoir déjà entendu. […] -N’est-il pas marin, votre propriétaire ? demanda l’homme, et il n’y avait pas trace d’ironie dans sa voix. Je crois me rappeler qu’il était marin ? -Marin ? Faites excuse, ce doit être son frère que vous connaissez. Celui-ci est en effet J.A.Happolati, agent. Je croyais que ceci allait l’achever ; mais l’homme se prêtait à tout. -Il paraît que c’est un habile homme, à ce qu’on m’a dit ? fit-il, pour tâter le terrain. -Oh ! C’est un roublard, répondis-je, une fameuse tête pour les affaires, agent pour n’importe quoi, airelles pour la Chine, plumes et duvets de Russie, peaux, pâte de bois, encre… -Héhé ! bougre de bougre,interrompit le vieillard, ragaillardi. Ca commençait à devenir intéressant. Je n’étais plus maître de la situation : l’un après l’autre les mensonges surgissaient de ma tête. Je me rassis, j’avais oublié le journal, les documents mystérieux, je m’excitais et coupais la parole à mon interlocuteur. La naïveté du petit vieux me rendait téméraire, je voulais l’abreuver de mensonges, sans ménagements, le mettre en déroute, grandiosement. Avait-il entendu parler du psautier électrique que Happolati avait inventé ? -Quoi, élec…! -Avec des lettres qui devenaient lumineuses dans l’obscurité ! Une entreprise absolument colossale. Des millions de couronnes en mouvement, des fonderies et des imprimeries en pleine activité, des légions de mécaniciens occupés, avec des appointements fixes, j’avais entendu parler de sept cents hommes. -Qu’est-ce que je vous disais ! fit l’homme tout doucement. Il n’en dit pas davantage. Il croyait tout ce que je racontais, mot pour mot, et néanmoins il n’était pas frappé de stupeur. Cela me déçut un brin, j’avais espéré le voir affolé par mes inventions.

(Knut Hamsun, Faim)

Je ne pense pas qu’on puisse découvrir dans mes œuvres, depuis que j’ai commencé à écrire, un seul personnage ” tout d’une pièce “. “Mes personnages sont tous exempts de ce qu’on appelle abusivement le caractère. Ils manifestent tous les divisions, les déchirements de leur nature. Ils ne sont jamais bons et mauvais, mais à la fois l’un et l’autre et, dans leur essence illuminée par la réalité, reflètent les millions d’aspects de leur nature. Je suppose que moi-même je suis ainsi.

(Knut Hamsun, sur son art)